Transmettre ma langue maternelle

Réflexions, astuces et retour d’expérience

Article par Faten El Sayed - etre.et.lettres@gmail.com

 (Toutes les traductions sont expliquées en bas de page)

« Maman, c’est toi qui es libanaise. Moi, je suis français. »

          Voici ce que mon garçon du haut de ses 7 ans m’avait dit pour montrer son mécontentement et son manque d’envie de continuer son apprentissage de la langue arabe*.

Dans un premier temps, cette phrase m’a profondément blessée. Malgré tous mes efforts et ma détermination, depuis de nombreuses années, à transmettre notre culture et nos traditions, malgré l’omniprésence du Liban et de la langue dans notre quotidien, mon fils ne s’identifie pas en tant que libanais ?  Une fois la vague des émotions passée, j’ai pris conscience de la difficulté que ça représente pour nos enfants d’apprendre la langue arabe et de la nécessité urgente de leur donner envie de s’investir et de mieux les accompagner dans cet apprentissage.

 

Aujourd’hui, trois ans plus tard, mon fils écrit des dictées en arabe. Bien sûr, il fait beaucoup de fautes. Bien sûr, son vocabulaire en arabe littéral est restreint et il n’est pas encore autonome pour capable de lire des livres en arabe ou regarder des dessins animés en libanais ou arabe littéral. Toutefois, mon fils me parle de plus en plus en libanais, produit même des expressions en libanais et essaie toujours de répondre en libanais quand il discute avec la famille au Liban. Le plus important pour moi est quand mon fils m’a dit il y a quelques jours : «  Tu sais, maman, je me souviens de mettre un z à riz car je pense à rezz en libanais ».  J’étais ravie !

Comment sommes-nous arrivés à ce stade ? Si je veux résumer cela en un mot, ça serait la persévérance, beaucoup de persévérance…

 

Apprendre l’arabe à ses enfants est comme n'importe quel projet. Pour pouvoir le réaliser et réussir, il faut travailler sur plusieurs axes et surtout répondre aux quatre questions suivantes :

 

Pourquoi je veux réaliser ce projet ?

Quel est mon objectif ?

Comment je pourrai y arriver ?

Quand je vais réaliser ce projet ?

 

Les réponses à ces questions ainsi que la persévérance et l'engagement des parents, de l'enfant et de l'entourage vous mèneront à la réussite.

 

« Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va »

Otto Von Bismarck

 

          Cependant, avant d'entamer ce beau projet qu'est l'apprentissage de votre langue maternelle à votre enfant, il est indispensable, en premier lieu, de se débarrasser sérieusement du sentiment de honte que nous pourrions porter vis à vis de cette langue. Malheureusement, c'est la réalité de nombreux d'entre nous. Malgré l'amour que nous portons pour notre langue et notre identité, des circonstances extérieures politiques, sociales et culturelles ont fait porter à la langue des jugements dont elle n'est pas responsable. Pour éviter de nous retrouver dans des situations sociales inconfortables, nous portons en nous cette honte qui nous pousse à masquer cette part de notre identité. En tant que parents, nous osons plus facilement dire à d'autres parents que nos enfants apprennent l’espagnol ou l’anglais que le libanais/arabe. J’ai personnellement eu du mal à en parler jusqu’au jour où, lors d’une formation professionnelle internationale à Paris, j’ai discuté avec une consœur australienne. Étant toutes les deux mamans, nous sommes venues à discuter des activités extrascolaires de nos enfants.  A ce moment, j’avais encore honte de parler des cours d'arabe que mon fils suivait. D'une façon aussi spontanée qu’inattendue, j'ai eu l'envie de partager ce sentiment avec elle, et j'ai bien fait. Sa réponse m’a vraiment marquée. Elle m’avait dit qu’il faut prendre conscience   que les apprentissages que nous fournissons à nos enfants aujourd’hui sont des semences qui porteront leurs fruits plus tard. Elle m’avait surtout dit de voir ce bel héritage transmis bien au-delà des actualités. Ses mots m'ont bouleversée et m’ont permis de voir les choses autrement, sous un plus grand angle.

 

          Aujourd'hui, je parle avec mon fils en libanais devant l’école, dans la rue, au restaurant… Parfois, des enfants ou des adultes nous demandent quelle langue nous parlons. Cette question amorce une discussion, un échange autour de nos histoires respectives.  Mon enfant est tout content de dire des mots en arabe littéral ou en libanais. De la même manière, si nous entendons quelqu’un parler une langue que nous ne reconnaissons pas, nous lui demandons, quand les conditions s’y prêtent, de quelle langue il s’agit. Nous cherchons ensemble des informations sur la langue et sur les pays qui la parlent. La langue n’est pas un frein social mais un moyen de s'ouvrir à l'autre et de créer des liens sociaux.  Les raccourcis discriminatoires imposés à notre langue ne doivent pas nous pousser à rejeter notre langue mais bien au contraire à révéler la paix, l'amour et la bienveillance qu'elle permet de véhiculer. Notre langue est riche de nuances que nous trouvons difficilement dans d'autres langues. Avez-vous trouvé facilement une équivalence à « ye3tik il3afyeh 1», « 3a2belak 2 », « sahtein 3 », « alf mabrouk 4 »,  « salemtak 5», « min 3youni 6 » ? Même quand une personne sort de la douche ou de chez le coiffeur, nous lui prêtons attention par un « na3imane 7 ».




Garder cette honte envers notre si belle langue revient à approuver le jugement de certains vis-à-vis de notre langue et notre identité. L’assumer, la parler permettra à notre langue de se révéler, à nos valeurs et cultures de rayonner, et à notre identité de montrer sa juste valeur. Ce sentiment de honte devrait laisser place à un sentiment de fierté et de responsabilité.




« Ta richesse est en toi, ta valeur est dans tes actes et tes motivations méritent plus d’attention que tes objectifs »

Abbas Mahmoud Al-Akkad

 

          Et c'est de là que vient le pourquoi de notre projet ? Pourquoi je veux apprendre l'arabe à mon enfant ?

Nos raisons sont multiples et en grande partie personnelles mais en tant qu’immigrés ou enfants d’immigrés libanais, nous partageons certainement des raisons communes. A titre personnel, trois raisons principales ont été derrière ma volonté d'apprendre la langue à mon enfant.




  • La première est l'envie de transmettre mon histoire et mon héritage à mon enfant : les petites blagues que l'on se racontait enfant, les petites anecdotes de mon enfance, les chansons que j'ai apprises à l'école, les dessins animés que je regardais avec mes frères et sœurs. Il est certes possible de les traduire mais la langue est l'âme de nos histoires ; elle est au centre de ce qu'elles véhiculent. Essayez de traduire « Mabrouk 4» ou « na3imane 7 » en français. Est-ce que vous ressentez la même émotion? Même notre voix et notre expression corporelle changent en fonction de la langue avec laquelle nous nous exprimons. De ce fait, ce que nous transmettons change aussi.

    «  Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur » avait dit Nelson Mandela. A travers la langue, nous transmettons nos émotions, nos histoires mais aussi nos valeurs, nos traditions, notre histoire collective en tant que Libanais. Apprendre notre langue maternelle à nos enfants, c’est transmettre des émotions et des valeurs, c’est imprégner l’identité de votre enfant par celle de nos ancêtres. La transmission est au centre de la parentalité. Notre langue maternelle est la clé qui permettra à notre enfant d’accéder aux plus précieux de nos héritages.

 

  • La deuxième raison pour laquelle je souhaite que mes enfants apprennent l'arabe est mon envie qu'ils puissent se connecter à leur famille et créer sans mon intermédiaire une connexion avec le Liban et le peuple libanais.  Mes enfants ont la chance d’avoir leurs quatre grands parents, certes éloignés mais pour moi la relation avec les grands parents reste un trésor inestimable. Je n’ai connu que ma grand-mère maternelle mais j’ai eu la chance de grandir auprès d’elle, de jouer aux cartes avec elle, d’apprendre à prier avec elle, d’être son commis de cuisine et surtout d’écouter ses histoires sur sa vie, sur la vie… Plus de vingt ans après son décès, son amour et ses enseignements continuent à imprégner mes choix de vie et à me soutenir dans mes moments de doute. Ne laissons pas nos enfants rater l’opportunité de nouer ce genre de relations avec leurs grands-parents.  Certes, certains grands parents sont francophones – c’est le cas des grands-mères de mes enfants -  mais je rencontre encore beaucoup de familles libanaises où l'échange avec un proche est freiné par la langue. L’immigration nous a permis de nous construire un bel avenir en tant qu’individu mais a créé une distance entre nous et notre famille proche et/ou éloignée. Devenir parent et éduquer un enfant dans ces circonstances est difficile. Quand nous devenons parents, nous nous rendons compte de la place qu’avaient l’oncle, la tante, le cousin et la grande tante  dans notre enfance et que l’immigration a ôtée à nos enfants. Faisons en sorte que la langue puisse réparer, autant que possible, les liens rompus par la distance. . .

 

  • La troisième et dernière raison qui me motive à accompagner mes enfants dans leur apprentissage de la langue arabe est la grande valeur ajoutée d’une compétence linguistique supplémentaire à un enfant. Toutes les études ont montré l'impact des langues sur l'intellect de l'enfant. Chaque nouvelle compétence apprise nous permet d'acquérir des connexions neuronales supplémentaires et enrichira ainsi notre plasticité cérébrale. Apprendre une nouvelle langue est acquérir une nouvelle façon de réfléchir qui ne pourra qu'élargir nos capacités cognitives et élargir le champ du possible pour notre enfant. De plus, parler une seconde langue reste une compétence majeure qui pourra renforcer son avenir professionnel. Dans mon entourage, certains enfants d'immigrés ont fait le choix de vivre une expérience professionnelle au Liban ou dans d'autres pays arabophones. Tous ont jugé que la langue a rendu l'expérience plus facile et plus enrichissante. A titre personnel, parler trois langues m’a ouvert les portes vers de nombreuses opportunités professionnelles et personnelles en France. Le plus grand souhait d'un parent est de voir son enfant voler de ses propres ailes. L'accompagner à apprendre une nouvelle langue l'aidera à voler plus loin et plus haut.

 

          S'engager dans un projet qui a un sens à vos yeux permet de mieux définir vos objectifs. Expliquer vos motivations à vos enfants d’une manière adaptée à leur âge leur permet de mieux adhérer à ce projet et de se l’approprier.




          Une fois le pourquoi défini, il serait plus simple pour vous de définir les objectifs pour votre enfant, en terme d'apprentissage de langue. Voudriez-vous qu’il parle le libanais uniquement ou voudriez-vous qu’il sache lire et écrire l’arabe ? Ce choix est le vôtre. Beaucoup font le choix d’apprendre uniquement à parler le libanais, choix que je respecte et a l’avantage d’être plus facilement atteignable. Personnellement, j'ai préféré apprendre l'écrit d’emblée à mes enfants. Mon choix est justifié par mes motivations mais aussi parce qu’apprendre à écrire une langue est une étape difficile et cruciale à franchir pour la suite de l’apprentissage. Une fois nous savons écrire une langue, nous saurons la lire et enrichir ainsi en toute autonomie notre lexique. Apprendre à écrire constitue, à mon avis, une base plus solide et plus pérenne que le parler.  Si un jour, mes enfants sont amenés à arrêter leur enseignement, il serait plus facile pour eux de reprendre des années plus tard, si la barrière de l’écriture est franchie. Beaucoup d’enfants d’immigrés, maintenant adultes, parlent le libanais mais sont incapables de l’écrire. Un grand nombre d’entre eux éprouvent l’envie d’apprendre mais se retrouvent démotivés par la difficulté d’apprendre un nouvel alphabet avec des règles totalement nouvelles.

 

«  Qui veut faire quelque chose, trouve un moyen. Qui veut rien faire, trouve une excuse »

Proverbe arabe

 

          Une fois les raisons et l'objectif de l'apprentissage  définis, il est maintenant temps de s'attaquer à l’aspect pratique du projet. Comment faire pour arriver à apprendre à mon enfant l'arabe/le libanais en France, dans un environnement non arabophone, où même l'apprentissage de cette langue n'est pas valorisé et les moyens peu faciles d'accès ?

La première chose à souligner et qui m'a permis de gagner en temps d'apprentissage pour mon enfant est de faire le constat immédiat que seule, je ne peux pas y arriver. J'ai besoin d'aide. La langue arabe est une langue difficile à apprendre et à faire apprendre. J'ai donc immédiatement cherché une aide.




Deux options s'offraient à moi : des cours particuliers ou une institution d'apprentissage.




Les cours particuliers ont l'avantage de se faire à domicile, ce qui demande moins d'effort pour les parents et l'enfant. Les séances durent moins longtemps également et permettent à l'enfant d'avoir un enseignement personnalisé et adapté à la capacité de progresser. Il peut se faire avec un enfant ou avec un petit groupe d’enfants, si vous avez dans votre entourage proche d'autres familles avec la même démarche que vous. Dans ce cas, l'organisation est un peu moins personnalisée mais peut convenir à certaines familles et a porté ses fruits dans des familles de mon entourage. La limite du cours particulier est que le cadre d'apprentissage à domicile peut être moins propice à l'apprentissage. Attirer l'attention d'un enfant, dans un environnement familial, et la maintenir peut être difficile pour certains enfants, surtout quand ils sont jeunes. Enfin, il faut que l'enseignant soit sérieux et capable de s'engager sérieusement sur l'année. Sachez aussi que les cours particuliers restent assez onéreux.

 

Les institutions, quant à elles, offrent un cadre plus rigoureux, plus propice à l'apprentissage. Les cours durent en général plus longtemps. Certes, l'accompagnement ne peut être aussi personnalisé que dans les cours particuliers mais la durée plus longue permet une immersion de l'enfant dans le monde de la langue arabe. Qui dit séances plus longues dans un cadre extérieur, dit engagement plus conséquent de la part des parents. Se déplacer pour accompagner les enfants et les attendre pendant leurs cours.  Ce qui peut vouloir dire chez certains avoir une petite parenthèse dans la journée, ou même le week-end en général, sans enfants, ce qui n'est pas désagréable, il faut le dire ! Même si le concept des institutions vous tentent plus que le cours particulier, n'hésitez pas à vérifier certains points : le choix des enseignants (sont-ils des bénévoles ou des salariés ? De quelle nationalités sont les enseignants et les élèves - si vous tenez à avoir un cadre purement libanais ou pas) ? Est-ce que le cadre de l'enseignement est religieux ou pas? Tous ces points sont à tenir en considération car les institutions ont des fonctionnements très différents entre elles. N'hésitez pas à demander des avis auprès de parents d'élèves déjà inscrits, d'assister aux portes ouvertes, si les institutions en proposent ou demander tout seulement avis sur les réseaux sociaux.

 

Plusieurs institutions existent. Elles restent toutefois concentrées dans les grandes agglomérations. Pour les familles vivant dans des régions où l'accès à ces institutions, voire même les cours particuliers à domicile, sont difficiles, n’'hésitez pas à faire appel à des enseignants à distance de France mais aussi du Liban. Cette solution me paraît bien pratique et pourrait être intéressante sur le plan organisationnel et financier mais je la déconseille, si une autre alternative est possible, dans les premières années d'apprentissage surtout si apprendre à écrire est un objectif principal pour vous, et  surtout si votre enfant est jeune (moins de 7 ans).                                    

 

Sachez aussi qu'il est possible de jongler entre ces solutions. Personnellement, nous avons commencé par l'institution puis à l'arrivée du deuxième enfant et de la Covid-19, nous avons opté pour un cours particulier. Quand les circonstances se sont stabilisées à nouveau, nous avons repris les cours en institution. Pour nos enfants, nous avons trouvé que l'institution convenait mieux mais nous avons toutefois apprécié les cours particuliers à domicile, qui ont permis de maintenir une continuité dans l'apprentissage. A vous de trouver la meilleure solution pour vous et votre enfant.

 

Le choix de l'enseignant ou de l'institution et votre assiduité sont une étape clé pour la réussite de l'apprentissage, surtout pour l'objectif écriture.         

 

           L'apprentissage d'une langue ne doit pas se résumer à une activité extrascolaire hebdomadaire d’une heure ou deux mais doit faire partie intégrante du quotidien familial. Pour qu’un enfant parle libanais il faut qu’il entende parler libanais. Pour qu’un enfant puisse lire l’arabe, il faut qu’il voie des mots arabes. L’apprentissage « passif » par l’exposition et la répétition est le plus efficace et le plus fluide. Quand nous passons une semaine de vacances avec nos enfants, ils apprennent des nouveaux mots, des nouvelles expressions et nous parlent plus en libanais. Je ne vous parle pas de l’effet des vacances au Liban. Gardez le contact avec le Liban, la famille, les amis libanais est très important. Si votre famille est éloignée et que vous n'avez pas d'amis libanais, n'hésitez pas à faire appel à une nounou libanaise.

J'ai créé au début de la crise économique au Liban en 2020 un groupe Facebook «  Ma nounou Libanaise ».

Mon objectif était de mettre les étudiants libanais en relation avec les parents libanais dans la perspective de  favoriser ainsi l’entraide entre les étudiants souhaitant avoir des ressources financières et les parents libanais souhaitant créer un environnement plus arabophone pour leurs enfants. Je suis ravie du grand succès de ce groupe et des belles histoires qu’il a provoquées au sein de la communauté libanaise en France. A titre personnel, j'ai pu grâce à ce groupe rencontrer de belles personnes libanaises qui sont devenues comme de la famille pour moi et mes enfants. Mes enfants sont ravis de les revoir et de leur parler en libanais.

 

          Au-delà de la sphère sociale, le libanais doit être présent dans votre foyer et vos habitudes familiales. Soyez créatifs !

Mangez libanais ne suffit pas surtout si « le loubyeh bzet » devient des haricots et le « khebez » devient du pain libanais.

Vous êtes en voiture ? Ecoutez des chansons libanaises, aussi bien les comptines libanaises que vos chansons préférées. 

A table, quand vous mangez, demandez aux enfants de citer 5 choses à table ou dans la pièce en libanais.

Vous aimez lire ? Glissez quelques livres en arabe dans la bibliothèque des enfants. Au pire, amusez-vous à leur lire des histoires françaises en libanais. Au rituel du soir, chantez-leur des berceuses libanaises. A la place de l’histoire du soir, contez-leur des petites anecdotes de votre enfance en libanais.

Vous aimez la danse ? Inscrivez-les en cours de dabkeh, de danse orientale.

Pour les fêtes, glissez un petit cadeau en lien.

Vous êtes croyants et vous souhaitez leur inculquer les valeurs religieuses ? Apprenez leurs vos prières en arabe. Expliquez-leur le sens des mots. Dans cette démarche, vous allez vous-même découvrir le sens et l’essence de certains mots que vous avez appris machinalement petits. Vous allez ainsi approcher d’une manière plus consciente la langue et la spiritualité de votre religion.

Cherchez autour de vous des associations libanaises, des centres culturels de pays arabophones. Des activités culturelles pour enfants y sont régulièrement proposées.

 

          En plus des initiatives culturelles et artistiques, de plus en plus d’initiatives entrepreneuriales se sont développées ces dernières années autour de l’apprentissage de la langue par des parents libanais en particulier ou  arabes. Les produits proposés, des livres majoritairement, ont l’avantage d’être conçus par des parents immigrés pour répondre à des besoins réels constatés auprès de leurs propres enfants. Ceci rend les livres et les jeux créés plus adaptés que ce que nous pouvons trouver dans les librairies classiques. Vous pouvez néanmoins trouver certaines ressources intéressantes au Liban, dans les librairies: des gommettes de l’alphabet arabe, des cubes avec l’alphabet, des cahiers d’écriture, des petites histoires… Même à l’aéroport de Beyrouth, vous disposez de certains articles éducatifs à destination des immigrés. Les produits peuvent être onéreux mais sont en général de qualité.

 

N’hésitez pas à créer vous-même vos supports. Ils seront les mieux adaptés et les plus attractifs pour vos enfants. Vous pouvez créer par exemple votre propre imagier avec vos enfants, en choisissant les objets qui ressemblent le plus à votre environnement. J’ai créé un système de bon point avec l’alphabet arabe. Il suffit d’imprimer l’alphabet arabe, le plastifier et le découper en petits carrés. A chaque fois que mon enfant faisait une bonne action, il avait droit à une nouvelle lettre en arabe. « La nécessité est mère de l’invention » a dit Platon.

 

A l’ère du numérique, nous avons accès à une quantité monstrueuse de ressources et l’information diffuse très rapidement. Il n’est plus besoin d’aller chercher l’information, les distractions, les jeux… Tout vient à nous. Je ne suis pas une grand fan de l’écran mais il faut reconnaître qu’ils ont envahi notre univers et se sont imposés dans notre décor familial. Il est plus judicieux d’en profiter et de proposer un temps écran de qualité. Depuis peu, à chaque fois que nous proposons un temps écran à nos enfants, une partie de ce temps est systématiquement en arabe. Personnellement, je crois que mon niveau en arabe ne vient pas uniquement de l'école au Liban mais aussi des émissions télévisées qu'on regardait. Nous regardions beaucoup les dessins animés doublés en arabe littéraire  Dernièrement, grâce à une amie, j’ai appris que la série « al manahel »  que je regardais enfant à la télé était disponible sur YouTube. J'étais vraiment agréablement surprise de la qualité pédagogique du contenu. C'était à la fois ludique et éducatif. De nombreuses chaînes YouTube proposent des vidéos pédagogiques, des comptines libanaises à découvrir ou à redécouvrir. Quel que soit le contenu ou l’âge de vos enfants, je vous recommande de bien regarder les vidéos avec eux, d’interagir avec eux autour de ces supports. Faites-le au moins en partie pour éveiller l’enfant et attirer son attention sur l’aspect apprentissage du temps écran que vous lui proposez.

 

L’apprentissage se donne aussi en donnant l'exemple. Parlez vous-même  libanais, suivez les chaines libanaises ou arabophones, mettez de la musique libanaise le matin, en voiture ou en vacances …


          Multiplier et diversifier les moyens d’apprentissage auront un effet synergique sur les progrès de l’enfant. L’année dernière, mon deuxième de 4 ans était à sa deuxième année de cours d’arabe. Etant le cadet, il est exposé plus au français que le premier et se retrouve à ne pas savoir rouler le « r ». Malgré les cours d’arabe, il n’y arrivait pas. Nous avons pris conscience de cela ensemble et avons exprimé auprès de notre enfant l’envie qu’il sache le faire, comme nous. Sur les réseaux sociaux, je tombe sur une vidéo d’une orthophoniste libanaise expliquant des exercices à faire faire aux enfants pour apprendre à rouler le « r ». Je montre à mon fils comment faire. Il se montre intéressé et motivé. Nous faisons l’exercice de temps en temps quand nous y pensons sans nous mettre la pression. Progressivement, j’ai constaté des petites améliorations. Cet été, après deux semaines au Liban, mon fils roule très bien les r, aussi bien voire mieux que Dalida ! Nous en étions tous fiers !

 

 « Si tu es fatigué, apprends à te reposer, pas à abandonner »

Banksy

 

          Enfin, la temporalité de l'apprentissage est quelque chose de très important : tôt, tout le temps et longtemps ! C’est un apprentissage qui se fait sur la durée et à débuter le plus tôt possible.

 

Il faut s’engager sur du long terme tout en s’accordant si nécessaire des pauses. Un projet sur du long terme n’est pas voué à l’échec s’il est mis en suspens sur un an ou deux. Si sur une année, vous avez des contraintes personnelles qui vous coupent de l’environnement libanais, qui vous empêchent d’inscrire les enfants en cours de langue, ceci ne signe pas l'échec de l'apprentissage.  Nous savons tous que nos rythmes sont effrénés loin de support familial. Un temps de pause pour mieux reprendre est dans certains cas vital. Rien ne vous empêche toutefois de garder ce projet au coin de votre tête et de celle de vos enfants. Proposez aux enfants des petites activités autour de la langue. Regardez des petites vidéos en arabe, quand l’occasion se présente. Mon fils a eu un an de césure à la naissance de son frère. Avec les nuits courtes et toute l’attention nécessaire pour un nouveau-né, nous savions que nous n’allons pas pouvoir gérer les allers-retours à l’école d’arabe. Nous avons essayé toutefois sur cette période d’entretenir les connaissances qu’il avait acquises par des séances de 30 minutes par ci par là à la maison. Nous avons repris progressivement avec des cours particuliers puis repris l’école d’arabe le weekend quand nous nous sommes sentis capables de nous réinvestir sur nos weekends.

 

Débuter l'apprentissage tôt est tout aussi primordial. Nous avons démarré l'apprentissage de l'écriture en même temps que l'entrée en maternelle pour nos deux enfants. Ceci a été très important et facilitateur car l’enfant a associé le principe de la scolarité à l’apprentissage de l’arabe. Il a ainsi pu s’engager plus volontairement dans l’école d’arabe.  De plus, les enfants, une fois scolarisés, vont très vite développer leur langage en langue française. Même si vous continuez à leur parler en libanais, ils vont prendre l'habitude de vous répondre en français. Petit à petit, ils vont perdre l'intérêt d'apprendre l’arabe. Leurs copains à l'école prendront une place importante dans leur vie sociale. Celle-ci se fera en français. Avant 3 ans, les amis des enfants sont en grande partie les enfants de la famille ou les enfants des copains des parents qui peuvent être libanais. Ceci ne sera plus le cas par la suite. Avoir déjà intégré l'apprentissage de la langue arabe avant ce grand changement me paraît donc très important. Si ce n'est pas le cas, je préconise de différer  un peu le début de l'apprentissage de l'écriture aux alentours du début du primaire. A cet âge, l’enfant commence à lire et écrire en Français. Il a déjà intégré le mode de de fonctionnement de l’école -et vous aussi, si vous êtes des parents ayant eu leur scolarité au Liban.  Intégrer l’apprentissage de la langue arabe pourrait être opportun. Dans tous, il reste primordial d'adapter le timing à votre propre situation professionnelle, familiale et personnelle.

                                                                                                                                                     

          Pour conclure, accompagner ses enfants dans l’apprentissage de votre langue maternelle est un beau projet de vie, de transmission et de savoir que vous accomplirez ensemble, en famille. Mon histoire avec le Liban, mes origines, ma famille est une histoire d’émotions, d’enseignements, d’identité et d’héritage. La vôtre peut être similaire. Elle peut être complètement différente. Cependant, nous avons tous une histoire à raconter à nos enfants. Elle est imprégnée d’une manière ou d’une autre par le Liban et le libanais. Faisons en sorte que nous puissions la raconter à nos enfants et qu’ils puissent la raconter aux leurs…

 


* Arabe/libanais/levantin : je ne rentrerai pas dans ce débat dans mon article car ceci n’est pas mon sujet. J’ai fait le choix de mettre arabe en parlant de la langue écrite et le libanais pour la langue parlée. Libre à vous de mettre le mot qui vous convient. Les messages de mon article resteront les mêmes.   

Traductions

1 ye3tik il3afyeh : signifie [que Dieu] vous accorde la santé. Cette formule est  une manière de saluer l’effort fourni par quelqu’un, qu’il s’agit de votre mère qui rentre du travail, du plombier qui vient de réparer une fuite, de la femme de ménage qui entretient votre maison, ou de votre enfant qui vient de finir ses devoirs. 

2 3a2belak : raccourci des deux mots en arabe littéral « al3okba lak »  qui signifient littéralement «  tu es le prochain ». Cette formule est répétée lors des fiançailles, des mariages, des remises de diplômes etc…. Fondamentalement, en invoquant cela, vous souhaitez la même bénédiction à la cible.

Sahtein : équivalent de bon appétit. « Sahtein » se dit donc à une personne en train de manger ou s’apprêtant à manger. Il s’agit d’un raccourci de « Saha, izan »  ou  « Santé, donc ». Nous souhaitons ainsi à la personne d’acquérir une bonne santé.

4 Alf Mabrouk : ou Mille Mabrouk.  « Mabrouk » signifie Béni [de Dieu].   Cette formule de politesse est largement répandue dans les pays arabes et au-delà. Elle est prononcée pour féliciter quelqu’un lors d’un heureux évènement qui va d’un simple achat d’un nouveau vêtement à l’arrivée d’un nouveau-né. Par cette formule, nous exprimons notre bénédiction et nos vœux de chance et de prospérité.

5 Salemtak : signifie littéralement ta sécurité, ton bien être. Elle se dit à quelqu’un qui est malade ou se plaint de quelque chose ou aussi à quelqu’un qui te demande si tu as besoin de quelque chose. Dans le premier cas, à travers de cette formule, tu  lui souhaites un bon rétablissement ; tu espères qu’il retrouve sécurité et bien être. Dans le second cas, pour ne pas lui dire « non je veux rien merci »,  tu lui dis «  salemtak » çad «  tout ce qu’il me faut est ta sécurité et ton bien être ».

6 Min 3youni : signifie littéralement « de mes yeux ». Quand quelqu'un vous demande une faveur et que vous comptez la lui accomplir, vous dites « min 3youni ». En d'autres termes, c'est l'équivalent de « bien sûr », « mon plaisir » et « je ferais n'importe quoi pour toi ».

Na3imane :   Ce mot est dérivé du mot  « Na3im », qui signifie bonheur parfait, le paradis. Il est utilisé pour féliciter quelqu'un pour sa nouvelle propreté ou son apparence fraîche, après avoir pris une douche ou s'être fait couper les cheveux. A ces félicitations, la personne répond par «  Allah yen3am 3leik » ce qui signifie « que Dieu te bénisse ».

 

 

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